Publié le 4 janvier 2023
Omar Sy à l'affiche du film " Tirailleurs "
Crédit photo : © Marie-Clémence David

Omar Sy à l'affiche du film " Tirailleurs "

Entretien à l'avant-première du film de Mathieu Vadepied au Pathé d'Annecy
Cinéma
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Drame, Action, Historique, Guerre

19 heures 55. La musique du film démarre. Installé dans la salle numéro 2, l’écran s’allume, en même temps que quelque 105 autres cinémas sur le territoire.

Comme une mise en abyme, on y voit les images en direct du Pathé Beaugrenelle. Le brouhaha des cinéphiles qui s’installe nous parvient. À Annecy, la salle est aux deux tiers pleins. Les spectateurs sont impatients de découvrir l’entretien du réalisateur Mathieu Vadepied et Omar Sy, acteur et coproducteur du film.

 « C’est l’histoire des soldats venus d'Afrique et enrôlés, souvent de force, dans l'Armée française non ? », « Oui, pendant la Première Guerre mondiale, je crois » discutent deux jeunes femmes. Leur voisine intervient, posant ses popcorn : « Pas que.». Étonnées, elles se redressent des fauteuils. La dame remonte ses lunettes noires puis continue : « C’est les oubliés de l’histoire. De la Seconde Guerre mondiale aussi. Mon grand-père y était. La France enrôlait des colons sénégalais, marocains et tant d’autres. Ils menaçaient leur famille ou les mettaient en prison s’ils refusaient. Certains se portaient volontaires pour l’argent. Beaucoup n’ont eu que des larmes et une médaille en consolation. Mon grand-père, lui, n’a jamais été payé. » Souffle-t-elle alors que Omar Sy et Mathieu Vadepied arrivent à l’écran. Des mots qui résument l'intégralité des "Tirailleurs"... bien plus clairement que le film en lui-même malheureusement.

Mathieu Vadepied rend hommage aux tirailleurs sénégalais

Il faut dire que « Tirailleurs », c’est un pan de l’histoire omise, oubliée. Un pan que « l’on n’apprend pas à l’école » souligne Omar Sy quelques minutes plus tard. Après 20 minutes de retard, l’entretien commence. Le réalisateur revient sur l’origine de ce film historique.

Crédit photo : © MokaMag

 « Quand j’étais chef opérateur, j’ai bossé avec des réalisateurs africains. Mais, je pense, le déclencheur a été mon voyage pour un an au Sénégal quand j’avais 18 ans. J’y ai rencontré un ancien tirailleur. Ça m'a beaucoup marqué ». explique-t-il, perché sur sa chaise, micro en main, face au public.

« Tirailleurs ». Ce terme, plus communément écrit « Tirailleur Sénégalais », fait référence aux corps de soldats venant d’Afrique de l'Est, centrale et occidentale.

Créés au 19e siècle, ils pallient le manque d’effectifs des troupes en métropole. Ces corps de soldats furent dissous autour de 1960.

« Ils ont combattu sur d’autres terrains coloniaux, et pas que durant la Première et Seconde Guerre mondiale » précise l’acteur Omar Sy. À sa gauche, le réalisateur complète : « J'avais l'intuition qu’il y avait un manque, une occultation. Faire un film comme ça c'était reconnaître leurs sacrifices, rendre hommage ». Pour ce faire, Mathieu Vadepied fait le pari de livrer un drame intime dans un drame mondial. Dans « Tirailleurs », on suit l’histoire de Thierno, enrôlé de force dans l’armée, et son père, Bakary, prêt à tout pour le ramener. Le réalisateur se met à hauteur de l'individu (littéralement). Le film est filmé à hauteur humaine, la caméra au niveau du regard, que le soldat soit accroupi, rampant ou debout.

Le choc de la transition

Passer du calme des plaines africaines, au torrent de pluie et de balles dans les tranchées françaises. Une scission sèche justement représentée dans le film avec une sorte d’acte 1 au pays, acte 2 dans les tranchées. La colorimétrie passe soudainement des tons chauds et sablonneux à une tonalité bleue et froide. Pareil pour le son, passant d’un calme désertique à la folie des bombardements sur le front.

Au-delà d’un changement violent, les soldats devaient aussi s’adapter aux nouvelles langues. Nombreux se sont retrouvés isolés par cette barrière culturelle. Il faut savoir qu’au Sénégal, plusieurs langues sont parlées, ainsi tous les tirailleurs sénégalais ne se comprenaient pas. Sans compter le peu d’hommes connaissant le français. Même si, comme le souligne Omar Sy, « Dans les tranchées, il n’y a pas d'autres langages que celui de la tuerie ».

Crédit photo : © Marie-Clémence David

Si cette notion est plus ou moins bien représentée dans le film, elle représente le nœud de l’intrigue : le fils parle le français, pouvant ainsi dialoguer avec les supérieurs de la section. Le père reste dans un flou, stopper net par cette barrière invisible.

Les tirailleurs sénégalais sont téléportés dans une société, un territoire qu'ils ne connaissent pas. Une colline inconnue au bataillon. Voilà la seule indication de lieu dans « Tirailleurs », accompagnée par une inscription à l’écran dès les premières minutes : « Début 1920, aux alentours de Verdun ».

Une absence qui pointe du doigt un amer constat : beaucoup sont morts loin de chez eux, sur un territoire dont ils ne connaissaient à peine le nom.

Un film mûrement travaillé avec Omar Sy

À la fin de la conférence, l’acteur et coproducteur explique comment Mathieu Vadepied l’a interpellé au sujet des tirailleurs : « On était sur le tournage d’ « Intouchable ». Mathieu était alors chef opérateur. À la cantine, un midi, il me pose une question qui, aujourd’hui, me marque encore : "Et si le soldat inconnu était un tirailleur sénégalais ? " ».

Il est vingt et une heures moins cinq. Les lumières s’éteignent dans la salle. Le film commence enfin alors que la question résonne encore dans la tête du public.

 

« Tirailleurs » en salle le 4 janvier 2023. Réalisé par Mathieu Vadepied. Coproduit par Omar Sy. Avec Omar Sy (Bakary Diallo), Jonas Bloquet (Lieutenant Chambreau) et Alassane Diong (Thierno).

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