Douze ans après avoir allumé les projecteurs du Radiant-Bellevue, Victor Bosch observe son théâtre comme on regarde un adolescent qui a grandi trop vite. L’ancien rockeur, producteur visionnaire et figure incontournable de la scène lyonnaise, continue d’avancer avec le même instinct : créer un lieu vivant, accueillant et populaire, où cohabitent les générations et les styles. Rencontre.
Le Radiant-Bellevue a fêté ses douze ans. Quel regard portez-vous sur cette aventure ?
Honnêtement, ça va bien au-delà de ce que j’avais imaginé. Quand on l’a ouvert, je savais que ça fonctionnerait, parce que le lieu répondait à une attente très claire : Lyon avait ses grandes institutions — l’Opéra, le TNP, la Maison de la Danse — mais il manquait un espace plus léger, fédérateur, capable de parler à tout le monde. Un lieu où l’on peut voir un concert de rock un soir, un ballet classique le lendemain et le surlendemain un grand spectacle familial ! C’est exactement ce que je voulais créer.
Qu’est-ce qui, selon vous, fait le succès du Radiant ?
L’intergénérationnel ! Et le mélange des styles. L’idée qu’ici, chaque jour est différent. Je tiens beaucoup à ce rythme : maximum trois jours de représentation, pas de longues séries. Un lieu où se côtoient jeunes, familles, publics bourgeois, amateurs de théâtre public ou de métal… c’est génial ! Et puis c’est un lieu de vie avec l’espace bar : les gens peuvent boire un verre ensemble à la sortie ou arriver deux heures avant entre copains, sur la terrasse — tout ça avec une programmation de qualité. J’étais sûr que ça marcherait. J’étais sûr de ça. Je voulais qu’on soit ouverts tous les jours. Je voulais qu’on dise : « Ça se passe où ? Ça se passe au Radiant ! » Que ce soit un concert, une pièce de théâtre, du cirque, de la danse : peu importe.
Mais Lyon, ce n’est pas Paris. Et le lieu est excentré. Un jour, pour l’anecdote : Alain Delon, la première fois qu’il est venu jouer, il est sorti de sa voiture, il m’a serré la main et il m’a dit : « Caluire et Cuire ! » Du genre : Delon, qui joue dans les plus grandes salles du monde, vient jusqu’à Caluire… Et puis, après, c’était inscrit dans les habitudes des artistes, qui sont revenus d’année en année.
En douze ans, la salle affiche un taux de remplissage record. Qu’est-ce qu’il faut préserver pour durer ?
Se remettre en question en permanence. J’ai toujours dit à mon équipe, qui est d’ailleurs toujours la même : « On doit garder dix ans d’avance. » Après on sera plus les seuls et ça se vérifie déjà — les modèles « lieu de vie », avec restaurant et espaces de convivialité, se multiplient — mais il ne faut jamais s’endormir. Cette saison, on atteint 96 % de remplissage, et la croissance continue parce qu’on reste à l’écoute.
Quelles sont les grandes lignes de la saison
2025-2026 ?
Ce qui me frappe, c’est que de plus en plus d’artistes demandent à venir ici. Certains calendriers sont complets jusqu’en 2027-2028. On aura cette saison environ 166 représentations et 215 levers de rideau : de la musique, du théâtre, de la danse, de l’humour… et beaucoup d’artistes très attendus.Sofiane Pamart, formidable pianiste, a été un vrai temps fort côté musique ; Gad Elmaleh revient pour une série quasi-événement ; Hoshi est déjà complète sur les dates de novembre. On a accueille aussi Arche nemy — oui, même du métal ! — et de grands classiques, comme Le Misanthrope avec Éric Elmosnino, début décembre, mais aussi Lambert Wilson le 11 et aussi Fabrice Lucchini fin décembre, un habitué des lieux !
L’humour semble occuper une place importante dans votre ligne artistique. Comment l’expliquez-vous ?
L’humour est devenu un miroir de notre société : immédiat, sensible, parfois brutal. Mais là encore on a atteint peut être un paroxysme je crois. Il a en a bcp… On a les habitués comme Dany Boon, mais aussi la nouvelle scène du stand-up, qui évolue très vite. Tout ceux qui sortent des réseaux socieux, Il y a des « petites bombes », comme Paul Mirabel ou Moguiz, sur qui j’ai misé très tôt et qui cartonne aujourd’hui. Ce genre est en perpétuel renouvellement, c’est ce qui le rend passionnant.
Comment repérez-vous les artistes qui trouveront leur public ?
Je me fie d’abord à l’intuition. Mais l’intuition seule ne suffit pas : j’écoute mon équipe, les retours du terrain, les signaux faibles. J’avais misé sur Zaho de Sagazan il y a bien longtemps … Chaque fois, c’est un mélange de flair et d’observation.
Un lieu où se côtoient jeunes, familles, publics bourgeois, amateurs de théâtre public ou de métal… c’est génial !
Comment conciliez-vous vos goûts personnels et les attentes du public ?
Je m’impose un exercice : m’asseoir dans un fauteuil et me demander honnêtement ce que j’en pense. Et surtout : est-ce que la personne qui a payé sa place vivra une vraie expérience ? C’est la base de tout. Ensuite, il faut accepter l’incertitude : dans ce métier, on traverse des tunnels où on ne sait pas si ça va marcher. Il faut juste rester sincère et exigeant.
Dans un paysage dominé par de grands groupes, comment défendre encore ce modèle “artisanal” ?
En gardant la proximité comme boussole. Le public n’est pas un chiffre. C’est quelqu’un qui choisit de venir, qui vit quelque chose. On ne peut pas industrialiser cette relation. C’est ce qui nous protège.
Qu’aimeriez-vous transmettre aux jeunes programmateurs ?
D’abord : s’écouter. Ensuite : penser au public. Je le redis : « Se mettre dans le fauteuil. Qu’est-ce que tu en penses ? » Et surtout : pense à celui qui a payé son billet. C’est lui qui doit ressortir heureux. Quand on fait une programmation, il faut être exigeant vis-à-vis de soi-même. Il faut aller au-delà de l'exigence purement artistique.
Après plus de cinquante ans de carrière, où trouvez-vous encore l’énergie ?
La passion. Je ne force rien. Le jour où je n’aurai plus la flamme, j’arrêterai, point. Pour l’instant, je me sens comme à 30 ans, avec la même envie de créer, de tenter, de transformer.
Qu’aimeriez-vous encore accomplir au Radiant ?
Je travaille actuellement sur un nouveau souffle pour le Radiant, un projet que je suis en train d’affiner. (… suspens !)
Un rêve pour les prochaines années ?
Alors je n’ouvrirai pas de nouveaux lieux (rires) mais plutôt faire grandir celui-ci, en profondeur, en qualité, en énergie. Continuer d’en faire un endroit où tout le monde se retrouve !
// BIO EXPRESS
1970 à 1980 : Batteur au sein de Pulsar
1989 : Ouverture du Transbordeur
1998 : Production Notre-Dame de Paris
2012 : Ouverture du Radiant-Bellevue à Caluire
2017 : Devient également directeur du Toboggan à Décines.

