L’illustratrice et animatrice basée à Séoul, Seo Young, également connue sous le nom de Tototatatu, crée des univers colorés où réalité et fantaisie s’entrelacent.
Née en 1989 et formée à l’animation à l’Université Nationale des Arts de Corée, elle mêle références à la culture pop, souvenirs d’enfance et personnages fantaisistes pour composer des images à la fois familières et étranges. Avec des influences allant des animés des années 1990 à Tim Burton, son travail joue sur les contrastes — doux mais inquiétant, ludique mais profond — et invite le spectateur à pénétrer dans des espaces oniriques où l’imagination prend le pas.
Comment décrirais-tu ton univers artistique à quelqu’un qui découvre ton travail pour la première fois ?
C’est une question qu’on me pose souvent en interview, mais j’hésite toujours un peu avant de répondre. Je dirais que j’invite les gens dans un espace-temps surréel que j’ai créé, et que le sens de mon travail réside dans la possibilité de faire ressentir et partager des émotions à l’intérieur de cet univers.

Quelles sont tes principales sources d’inspiration, entre culture pop coréenne, littérature, cinéma et vie quotidienne ?
Je puise mon inspiration dans beaucoup de choses, mais ce sont surtout les livres qui me nourrissent. Une seule phrase peut faire naître une image, qui elle-même devient une histoire que je porte en moi jusqu’à ressentir le besoin de la dessiner. Le cinéma aussi m’inspire, que ce soit par les émotions qu’il suscite ou par la beauté d’une mise en scène que j’ai envie de réinterpréter.

Qu’il s’agisse d’art, de médias ou de rencontres ordinaires, ce qui compte pour moi, c’est le moment où quelque chose vient toucher mes émotions. Pour être réceptive à cela, j’essaie de maintenir un certain calme intérieur et un équilibre dans ma vie.
Ton travail joue souvent avec des contrastes, entre vivant et inanimé, douceur et malaise. Pourquoi ces oppositions sont-elles si présentes ?
Parce qu’elles rendent une image plus intéressante, mais aussi parce que je pense que le monde lui-même est une harmonie de dissonances. On ne peut pas s’entourer uniquement de choses belles ou confortables. Rien n’est fait d’éléments homogènes — c’est toujours un mélange. Lorsque les contraires se rencontrent, ils créent une tension, une signification. C’est pour ça que les contrastes me paraissent naturels, voire nécessaires dans mon travail.
Comment tes références, des animés des années 90 à l’univers de Tim Burton, se manifestent-elles dans tes créations ?
Ce sont des univers qui m’ont fascinée très jeune, donc ils ont naturellement façonné mon goût et ma manière de percevoir la beauté. Des espaces à la fois familiers et étranges, des personnages aux qualités inattendues, des couleurs qui évoquent la nostalgie… Ce sont des éléments qui continuent de me captiver. Aujourd’hui, avec l’explosion des médias et des plateformes, on est constamment exposés à de nouvelles esthétiques, mais je pense que les influences plus anciennes restent comme une base. Tout est interconnecté, recyclé, réinventé — et mon travail s’inscrit dans cette circulation permanente.

Tu as dit que l’art, pour toi, est un processus de curiosité. Qu’est-ce que cela signifie dans ta pratique au quotidien ?
C’est très lié à mon état d’esprit. Quand je suis anxieuse ou dépassée, ma curiosité s’éteint. Mais quand je suis en équilibre, je peux m’émerveiller, explorer, et finir par exprimer ce que j’ai découvert. Ce processus peut arriver un jour tout à fait banal — en feuilletant un livre de photos ou d’art et en remarquant soudain un détail que je n’avais jamais vu, ou en réécoutant une musique que j’aime et en ressentant quelque chose de nouveau.
Et si j’ai envie de découvrir quelque chose de complètement inédit, je vais chercher des interviews, des archives, même des lookbooks de marques. Aujourd’hui, beaucoup de choses sont conçues avec une intention artistique, et le simple fait de me demander « comment cela a été fait ? » suffit à raviver ma curiosité, et nourrit ma pratique.
On retrouve souvent des chats, des fantômes ou des sirènes dans tes illustrations. Que représentent ces personnages récurrents pour toi ?
Pour moi, ce sont des compagnons que j’ai envie de garder près de moi, des êtres qui semblent sur le point de commencer une histoire, ou des présences fantastiques qui installent une certaine ambiance. En plaçant des personnages non humains dans mes images, je peux créer une atmosphère surréelle. Ce sont aussi des extensions de moi-même — dissimulées sous de la fourrure, du tissu ou de la peau.
Quelles émotions aimerais-tu que le public ressente face à ton travail ?
J’aimerais qu’on ressente quelque chose d’inconnu — qu’une image fasse naître une émotion ou une idée nouvelle. Quand je découvre une œuvre qui m’inspire, je ressens une énergie qui me pousse à créer, et j’espère que mon travail peut transmettre ce même élan aux autres. Dans l’idéal, j’aimerais que chacun parte à son tour dans son propre imaginaire ou sa propre histoire à partir de ce qu’il voit.
Quels sont les projets actuels ou les directions futures qui t’enthousiasment le plus ?
Au moment de cette interview, je prépare une exposition personnelle à Tokyo, prévue dans environ deux semaines. Elle présentera 20 nouvelles œuvres que j’ai créées cette année, donc je ressens à la fois de l’excitation et du trac à l’idée de les partager. Ensuite, je compte revenir à des projets plus personnels : construire un site web, créer un artbook, développer des objets dérivés… À plus long terme, j’aimerais étendre mon univers à d’autres médias; pas seulement via les livres et les expos, mais aussi à travers des animations courtes ou même des installations qui permettent au public d’entrer plus directement dans mon monde.
Propos recueillis par Carole Cailloux