Manger, c'est résister ! Quand l'assiette devient un acte politique

À Cadenet, on expérimente une autre manière de se nourrir, pendant que Paris verrouille l’agriculture de demain...

Depuis le 11 août, la loi Duplomb est passée. Défendue par une majorité conservatrice, elle entérine une vision productiviste de l’agriculture française : réautorisation de certains pesticides, faible prise en compte de la biodiver- sité, appui renforcé aux exploitations industrielles. Une loi vivement critiquée jusque dans les rangs scientifiques, qualifiée par certains de « texte écocidaire ».

Mais dans le Vaucluse, un petit village fait bande à part. À Cadenet, 5 000 habitants testent depuis 2020 un modèle d’alimentation radicalement opposé, fondé sur la justice sociale, le respect du vivant et la démocratie alimentaire. Ici, l’assiette devient un outil d’émancipation.

MANGER DEVIENT UN DROIT, PAS UN PRIVILÈGE

Sous l’impulsion du CLAC (Collectif Local de l’Alimentation de Cadenet), une trentaine d’habitants reçoivent chaque mois 150 € à dépenser dans un réseau de producteurs locaux, artisans et épiceries engagées. Aucun supermar- ché, zéro pub agro, pas d’intermédiaire.

Juste du pain bio, des légumes de saison, des œufs de la ferme. Une économie locale, sobre, humaine.

« On rêve notre système de santé alimentaire de demain », résume Éric Gauthier, membre fondateur du projet.

Financé par une subvention de la Fondation de France et de la Fondation Carasso, le modèle repose sur cinq critères d’évaluation : l’impact écologique, les conditions de travail des producteurs, la proximité géographique, la taille des fermes et leur indépendance vis-à-vis de l’agro- industrie. Chaque produit est ensuite classé dans l’un des trois niveaux de remboursement — 30 %, 70 % ou 100 % — selon sa contribution à un système alimentaire plus juste et soutenable.

UN CONTRE-MODÈLE FACE À UNE LOI D’UN AUTRE TEMPS

Tandis que la loi Duplomb légitime un modèle agro- industriel à bout de souffle, des territoires comme Cadenet défendent une agriculture de proximité, plus résiliente et solidaire. Barjac, Toulouse, Poitiers, la Drôme, le Puy-en-Velay... plus d’une trentaine de projets de Sécurité sociale de l’alimentation (SSA) émergent un peu partout en France. Discrets, mais tenaces.

Avec l’adoption du texte, ces initiatives risquent pourtant d’être fragilisées. La mise en place de nouvelles normes et contrôles pourrait étouffer les modèles locaux, non alignés sur la logique industrielle. À contre-courant du centralisme agricole français, ces alternatives sont désormais sur la sellette.

CE QUE L’ON MANGE FAÇONNE CE QUE L’ON EST

Cadenet ne cherche pas à faire mieux, mais à faire autre- ment. Manger ici, c’est aussi retisser du lien social, recréer des communs, cultiver une certaine joie. Redécouvrir des recettes familiales, partager une soupe entre voisins, cuisiner ensemble. On ne parle plus seulement de nutri- ments, mais de culture, de récit, de plaisir.

Et si l’alimentation devenait aussi désirable que la mode ou la musique ? Avec ses codes, ses valeurs, son esthétique ? C’est aussi cela que propose la SSA : réinjecter de la beauté, de l’engagement et du soin dans notre quotidien alimentaire.

ZOOM — LES ANTHOCYANES, OU LA REVANCHE DU VÉGÉTAL

Derrière la couleur éclatante des myrtilles, aubergines ou choux rouges, se cachent de puissants alliés : les anthocyanes. Antioxydantes, anti-inflammatoires, protec- trices des cellules et même capables de freiner certaines tumeurs, ces molécules naturelles incarnent une santé douce, végétale et accessible.

Selon une récente synthèse scientifique, elles pourraient aussi atténuer la toxicité reproductive des microplastiques et nanoplastiques dans le corps humain. Une piste sérieuse dans un monde saturé de chimie.

Où les trouver ?

Dans les baies (cassis, myrtilles, airelles), les fruits rouges (cerises, fraises, framboises), les légumes colorés (betterave, chou rouge, aubergine) et même certains maïs violets.

5 CLÉS POUR BIEN MANGER SANS SE RUINER

Changer ses habitudes n’implique pas forcément de déménager à Cadenet. Voici quelques gestes simples à adopter :

1 | Privilégier les circuits courts et le vrac
AMAP, marchés paysans, fermes, épiceries sans emballage : moins d’intermédiaires, plus de transparence.

2 | Faire le plein de basiques sains
Lentilles, quinoa, boulgour, pois chiches, riz complet, légumes de saison : peu chers et nourrissants.

3 | Batch cooking maison Cuisiner plusieurs repas à l’avance
= gain de temps + économie + zéro gaspillage.

4 | Scruter les étiquettes
Moins il y a d’ingrédients, mieux c’est. Et méfiez-vous du marketing “healthy”.

5 | Partager, troquer, récupérer
Too Good To Go, Olio, groupes locaux...

MANGER LIBRE, MALGRÉ TOUT

Dans un monde où l’agriculture devient un champ de bataille, Cadenet propose autre chose : un avenir désirable, une économie vivante, une communauté engagée. Et si cela ne suffit pas à renverser la loi Duplomb, cela suffit déjà à nourrir l’espoir.

Parce que résister, aujourd’hui, ça commence peut-être par une assiette.

Et une poignée de fruits rouges !

Carole Cailloux