Avec l’arrivée, il y a deux ans, de ChatGPT, l’intelligence artificielle (IA) s’est largement propagée dans nos vies. Aujourd’hui, le logiciel compte plus de 200 millions d’utilisateurs mensuels. Mais de sa conception à son service aux utilisateurs, l’intelligence artificielle est très énergivore. Décryptage.
Si le monde du numérique avait été un pays, il aurait été le 5e plus gros émetteur de gaz à effet de serre du monde en 2019. Sa pollution, équivalente à 1 milliard 400 millions de tonnes, est semblable à celle de 116 millions de tours du monde en voiture. Avec la course à l’intelligence artificielle, la plupart des géants de l’industrie ont augmenté leurs émissions de carbone de 30 à 50 % en cinq ans. Et ce n’est pas près de s’arrêter.
Alors que son apparition remonte à 1943, année où les scientifiques Warren McCulloch et Walter Pitts publient un document présentant le premier modèle mathématique pour la création d’un réseau de neurones, l’intelligence artificielle a connu un essor lors de la publication en ligne en 2022 de ChatGPT, une intelligence artificielle générative, c’est-à-dire capable de générer du nouveau contenu et de nouvelles idées, telles que des conversations, des textes, des images, des vidéos et de la musique. Aujourd’hui, son nombre d’utilisateurs a doublé par rapport à l’automne 2023 : plus de 200 millions de personnes utilisent ChatGPT chaque mois. Mais à chaque fois que l’on pose une question à une intelligence artificielle, la dette écologique s’agrandit. L’université du Colorado a révélé que 25 requêtes à une intelligence artificielle utiliseraient un demi-litre d’eau. Alors pourquoi une simple recherche sur ChatGPT consomme-t-elle autant ?
Avec la course à l’intelligence artificielle, la plupart des géants de l’industrie ont augmenté leurs émissions de carbone de 30 à 50 % en cinq ans.
Comment est conçue une intelligence artificielle ?
Pour qu’une intelligence artificielle puisse être créée, elle doit emmagasiner une quantité phénoménale d’informations : des vidéos, des textes, des photos, annotés par l’humain. L’entreprise OpenAI, créatrice de ChatGPT, a dû faire lire au GPT-3, un modèle de langage, plus de 570 gigaoctets de textes provenant d’internet. Cependant, la capacité d’apprentissage est très lente. Pour augmenter leur précision d’1 %, les ordinateurs doivent calculer pendant des jours, voire des semaines. La configuration de leur intelligence consomme donc énormément d’électricité. Selon l’université de Californie, cet entraînement, pour une seule IA, représenterait l’équivalent de 205 allers-retours en avion entre Paris et New York. Évidemment, plus les créateurs d’une intelligence artificielle tendent à la rendre parfaite et plus efficace, plus les calculs sont longs et la consommation d’électricité grande. ChatGPT-3, le modèle qui a été mis en ligne pour tous les utilisateurs, a nécessité 1 287 mégawattheures (MWh) pour être entraîné, soit l’énergie créée par 6,435 millions de personnes qui pédalent sur un vélo pendant une heure. Un autre exemple, l’outil « BLOOM », une IA franco-américaine qui génère des textes multilingues, a consommé 433 MWh pendant sa phase d’entraînement. C’est l’équivalent de l’énergie consommée par 40 foyers américains moyens pendant un an.
De grands centres de stockage
Pour pouvoir stocker toutes les informations apprises et générées par les intelligences artificielles, les géants du numérique utilisent des centres de données, ou data centers, de grands hangars remplis de serveurs informatiques. Lorsqu’une requête est formulée dans une intelligence artificielle telle que ChatGPT ou Gemini de Google, les data centers chauffent. Et pour éviter la surchauffe, les techniciens utilisent de l’eau douce. Les cinq Data centers de Microsoft installés à Des Moines consommeraient 4,5 millions de litres d’eau par mois. En tout, 2 653 centres sont installés aux États-Unis. Et ces grands centres sont alimentés par des énergies fossiles, ce qui en fait une grande source de consommation d’énergie. Quant à la construction de ces centres, tout comme pour nos téléphones portables, elle nécessite énormément de métaux « rares », notamment du cobalt. Ces ressources sont non renouvelables et non recyclables, et sont extraites dans des régions pauvres par des ouvriers sous de mauvaises conditions de travail. L’extraction de ces métaux provoque énormément de pollution de l’air et des nappes phréatiques, de déforestation et de destruction des sols. En France, il y a pour l’instant 315 centres de données de ce type, qui consomment tout autant d’énergie et d’eau. Emmanuel Macron a annoncé en mai dernier être prêt à accueillir de nouveaux centres et à développer ceux existants. Microsoft a promis, lors du sommet de Choose France en mai dernier, qu’il investirait 4 milliards d’euros pour l’IA et les data centers en France. Il renforcera ses centres à Paris et Marseille, et devrait en créer un près de Mulhouse. Amazon, quant à lui, investira 1,2 milliard d’euros, et jusqu’à 6 milliards d’ici 2031.
Des initiatives au service de l’écologie
Pour autant, l’IA pourrait aider à sauver la planète, c’est le « Green AI ». Des initiatives visent à mieux comprendre les enjeux environnementaux. Le projet Soft Robotic Fish a pour objectif d’étudier la manière dont la pollution des océans influe sur le comportement des poissons, au moyen d’un poisson robotique. La gestion des déchets peut aussi être optimisée par l’IA, avec le Plastic Tide Project, qui envoie des drones au-dessus de certaines zones pour repérer les déchets plastiques, les analyser et définir comment les prendre en charge. Pour nettoyer les océans, l’association The Ocean Cleanup mobilise des robots de 600 mètres de long pour récupérer 5 tonnes de plastique par mois. L’IA peut aussi servir à créer des « villes intelligentes », en matière de gestion du trafic, des déchets et de l’énergie. C’est le cas de la ville de Zurich, qui a conçu des lampadaires intelligents qui éclairent les rues en fonction de la densité du trafic. La ville a réduit sa consommation d’énergie de 70 %. Mais tout projet comme ceux-ci a quand même un coût écologique énorme. L’intelligence artificielle, si elle peut aider à résoudre des enjeux environnementaux, est tout de même celle qui participe à les créer. Son empreinte carbone est en pleine expansion et devrait atteindre 3 % de l’empreinte mondiale d’ici 2030.
En bref, l’intelligence artificielle présente un tournant technologique majeur, avec des implications profondes pour de nombreux secteurs de notre société. Cependant, derrière ses promesses de progrès se cache un lourd coût écologique. De la consommation d’énergie massive des centres de données à l’exploitation des ressources non renouvelables nécessaires à sa fabrication, l’IA contribue de manière significative à l’aggravation de la crise environnementale.
Néanmoins, on peut espérer que des initiatives émergent pour utiliser l’IA au service de la durabilité, comme la gestion des déchets ou la réduction des émissions de carbone dans les villes intelligentes. L’enjeu ultime sera de trouver un équilibre entre l’essor de cette technologie révolutionnaire et la protection de notre planète, afin que l’IA puisse être une force de transformation positive, sans sacrifier l’avenir de notre environnement.
Andréa Rivière