Après 15 ans de travaux, le musée Bonnat-Helleu vient d’ouvrir ses portes. Son nouveau directeur, Barthélémy Etchegoyen Glama, 32 ans, affiche un parcours impressionnant: docteur en philosophie, diplômé de l’ENS, enseignant à Columbia en 2017, sa thèse porte sur l’archéologie coloniale et son influence sur les collections du Musée du Louvre, puis il est conseiller auprès de Laurence des Cars en 2022. Enfant du pays, il a pris ses fonctions en février 2025: retour aux sources...
Qu’avez-vous ressenti lorsque l’on vous a proposé la direction du musée ?
J’ai d’abord ressenti une grande émotion. Le musée Bonnat- Helleu fait partie de mon histoire : j’y ai grandi en tant que visiteur. C'est un lieu magnifique, une collection qui regorge de chefs-d’œuvre et j'ai hâte que le public puisse retrouver son musée. Un musée c'est une aventure collective, et cette réouverture ne sera pas complète tant que les visiteurs n'auront pas repris possession des espaces.
Très tôt vous vous orientez vers l’histoire de L' art que vous prenez en option au Bac. Qui vous a transmis ce goût pour l' art ?
C'est quand Vincent Ducourau, le directeur de l'époque, est venu dans mon école primaire présenter le musée et ses oeuvres que j'ai eu ma première rencontre avec l'histoire de L' art. Émotions fortes donc, c'est vraiment le musée qui m'a donné le goût de L' art.
15 ans de travaux. 28 millions d’euros de budget, c’est faramineux !Le musée a fermé en 2011 en urgence suite à des fuites d'eau dans le bâtiment. Il a ensuite fallu faire toutes les phases d'études préparatoires et lancer le concours d'architecture - ce qui se fait habituellement avant la fermeture d'un lieu. Si l'on ajoute le temps de L' archéologie préventive et les retards de livraison des matériaux dus au covid, le chantier a réellement duré 5 ans - ce qui est plutôt une durée habituelle pour ce genre de projets. Le bâtiment a été entièrement repensé, et l'ensemble de la collection a été restaurée. Des éléments qui avaient disparus ont été retrouvés, comme une signature du Greco sur le portrait du duc de Benavente. Il y a aussi eu un gros chantier de restauration des cadres, qui coûte parfois plus cher que la restauration des oeuvres elle-mêmes !
7000 oeuvres, dont 2500 appartiennent au Louvre, 3000 dessins... d’où viennent toutes ces richesses ?
Les collections sont vraiment incroyables, on ne se rend pas compte des chefs-d'oeuvre que nous avons à Bayonne ! Le coeur de la collection est formé du don de Léon Bonnat, d'abord à l'ouverture du musée en 1901, puis d'un leg après son décès. Il voulait offrir sa collection aux Bayonnais, dans un esprit de transmission et d'amour de L' art ! Cet élan de générosité a été suivi par de nombreux donateurs, dont notamment Antonin Personnaz, Jacques Petithory et Paulette Howard-Johnston. Une collection, c'est un ensemble réuni par la sensibilité de celui qui la constitue, une exploration de l'histoire de L' art par le prisme de l'émotion. Chaque visite du musée Bonnat-Helleu est personnelle, menée par celui ou celle qui regarde, et c'est l’interaction entre les visiteurs et les œuvres qui fait que leur visite sera réussie.
Comment fonctionne le partenariat avec le Louvre ?
Léon Bonnat a légué ses oeuvres aux Musées Nationaux, avec obligation qu'elles soient présentées à Bayonne. Aujourd'hui, c'est le Louvre qui est propriétaire de ces objets placés en dépôt à Bayonne. Cela fait du musée Bonnat- Helleu le plus gros dépôt d'oeuvres du Louvre hors de Paris: un « petit Louvre » au Pays Basque.Comment ces trésors sont-ils présentés ?
Il y a des trésors un peu partout, et nous avons souhaité casser le parcours traditionnel du musée chronologique. Ainsi, les visiteurs naviguent guidés par leur regard, facilité en cela par le décloisonnement des espaces. Les oeuvres se répondent les unes aux autres. Le parcours commence de manière thématique autour du corps, puis du sacré et du pouvoir. Mélangeant les oeuvres, les époques et les civilisa- tions, elles questionnent le visiteur de 2025 sur ce qu'elles racontent, et comment elles le racontent. On navigue ainsi d'un sarcophage égyptien du VIIIe siècle av. J.-C à des sta- tuettes tanzaniennes de 1970, et de pièces monumentales comme le triptyque bayonnais d’Henri-Achille Zo en trois panneaux, à des boucles d’oreilles d’un diamètre de 3 cm. Je ne résiste cependant pas à évoquer la collection d'arts gra- phiques qui est parmi les 10 plus belles du monde: Léonard de Vinci, Michel-Ange, Raphael, Degas, Delacroix, David...
« Dialoguer avec les plus grands musées du monde »
Avec tant de richesses vous pouvez aspirer à rayonner dans le monde entier !
Le musée Bonnat-Helleu peut dialoguer avec les plus grands musées du monde. Les dessins sont d’un niveau exceptionnel, et les peintures forment un ensemble rare qui raconte aussi bien l’histoire de l’Espagne que celle de la France ou de l’Italie. J’aimerais que le musée devienne un réflexe pour les habitants du territoire, un lieu où l’on vient se nourrir mais aussi respirer, se rencontrer, débattre. Nous travaillerons la médiation, la pédagogie, les ateliers, et les expositions pour permettre à chacun de trouver sa porte d’entrée. Je voudrais en faire un musée qui rayonne par sa force, sa singularité, sa valeur intellectuelle et sensible. Un musée qui soit à la fois un phare pour les chercheurs, une maison pour les habitants, et une découverte pour ceux qui viendront de loin.
Propos recueillis par Elsa Chapon