Il est de ces films qui ne se contentent pas de raconter une histoire, mais qui révèlent une époque, un monde, un poison lent. « La Femme la plus riche du monde », le nouveau long-métrage de Thierry Klifa, est de ceux-là. Présenté hors compétition au Festival de Cannes 2025, ce film librement inspiré de l’affaire Bettencourt promet un savoureux cocktail de satire sociale, de thriller psychologique et de drame bourgeois, porté par un duo d’acteurs exceptionnel : Isabelle Huppert et Laurent Lafitte.
Une fiction aux allures de tragédie moderne
Le film ne se revendique pas comme une reconstitution fidèle de l’affaire Bettencourt, mais comme une libre variation romanesque. Thierry Klifa y explore les arcanes du pouvoir familial, les jeux d’influence, et les zones d’ombre des grandes fortunes françaises.
Ce n’est pas tant Liliane Bettencourt qui est mise en scène que l’héritière Marianne, riche à ne plus savoir quoi faire de son empire, mais rongée par la méfiance, la solitude et une terrible soif d’amour. Face à elle, un écrivain photographe aussi insolent que séducteur, qui, derrière ses sourires charmeurs, cache une ambition féroce.
Dans cet univers feutré où les héritages se négocient à coups de donations astronomiques et de manipulations affectives, un majordome observe tout, silencieux, presque inquiétant. Et puis il y a la fille de Marianne, méfiante, glacée, campée par Marina Foïs, qui semble être la seule à percevoir l’imposture – ou la vérité ? – qui se joue sous ses yeux.
Isabelle Huppert, magistrale et libre
Déjà saluée par Le Parisien pour son jeu "admirable", Isabelle Huppert incarne cette Marianne à la fois impérieuse et tragique. L’actrice, fidèle à son goût pour les personnages complexes, explique avoir trouvé dans ce rôle une liberté rare : "Je prévoyais qu'on pourrait prendre un ton, tantôt un peu le ton de la farce, un peu un ton théâtral, un peu le ton de l'opérette (...). Cela me permettait de faire exactement ce que j'avais envie de faire de ce personnage. » Une interprétation nuancée, tout en contrastes, qui navigue entre comédie grinçante et gravité existentielle.
Un film de contrastes et de tensions
Dans La Femme la plus riche du monde, rien n’est figé. Tout s'anime, se déconstruit, se pervertit. Klifa soigne la mise en scène avec précision, jouant sur des décors épurés, des costumes codifiés, et une direction artistique qui refuse le tape-à-l’œil.
Le cinéaste, qui connaît bien l’univers qu’il dépeint, confie :
"On est loin de Succession ou The White Lotus. Ce n’est pas un monde clinquant, mais un univers figé, assez mortifère. » Et pourtant, l’irruption de ce photographe flamboyant dans la vie de Marianne va tout faire basculer. Comme si, derrière le faste discret de cette grande bourgeoise, couvait un volcan d’émotions refoulées.
Un miroir tendu à notre époque
Klifa n’a pas voulu faire un biopic. Ce qui l’intéresse, c’est la transmission, les héritages invisibles, les secrets inavoués qui hantent encore les grandes familles industrielles françaises. À travers ses personnages "monstrueux et infantiles", comme il les décrit lui-même, le réalisateur sonde les cicatrices intimes et les solitudes héréditaires, dans un monde où tout peut s’acheter – sauf l’amour véritable.
Pourquoi il faut le voir
Parce que c’est un film élégant, cruel, drôle et mélancolique, qui manie les codes de la comédie dramatique avec une rare finesse. Parce que le duo Huppert/Lafitte fonctionne à merveille, entre tension sexuelle et guerre psychologique. Parce que derrière cette fiction se cache un regard mordant sur la France des puissants, ses hypocrisies et ses blessures historiques. Et parce que parfois, le cinéma sait mieux que les faits divers révéler ce qui se joue dans l’ombre de la richesse…
La Femme la plus riche du monde, de Thierry Klifa. En salles le 29 octobre 2026.