À la tête de la Scène nationale du Sud-Aquitain depuis 2019, Damien Godet nous présente la saison 2025-2026, dans la continuité du succès de la précédente, qui affiche un taux de remplissage proche de 90 %. Cette programmation mêle création contemporaine, engagement citoyen, ouverture aux langues du territoire, mais aussi grandes figures artistiques. Avec une forte attention portée aux jeunes, aux publics éloignés et à l’action culturelle, il défend une vision engagée du théâtre public.

Vous étiez au festival d’Avignon cet été. On y fait son marché ?
Pas vraiment. J’y vais pour découvrir des artistes et des propositions nouvelles. On achète rarement un spectacle « clé en main ». Aujourd’hui, beaucoup de compagnies, souvent en difficulté financière, viennent nous solliciter dès l’élaboration de leur projet. Nous les accompagnons alors dans leur processus de création, via la co-production, l’accueil en résidence ou la programmation. Parfois, nous sommes producteurs et tourneurs, comme avec le Collectif Bilaka pour le spectacle Gernica, programmé en février à Bayonne: une chorégraphie de Martin Harriague qui prendra la direction du centre chorégraphique de Biarritz en janvier 2027.
Comment définiriez-vous le public du Sud-Ouest ?
Très divers. C’est pourquoi la programmation comporte 55 spectacles aux formes très variées. On essaie de toucher tous les publics. Dire qu’on y arrive, c’est autre chose! On pratique une politique tarifaire pour les plus démunis ou les plus éloignés, et notre tarif à 10 euros pour les moins de 25 ans est inchangé depuis 2019. On parie sur la curiosité et l’intelligence du public. Mais certains restent difficiles à mobiliser. Les étudiants, par exemple, fonctionnent par petit groupe, ils organisent leurs sorties d’une manière très différente du reste de la population. Cette saison, nous avons imaginé un spectacle par et pour eux, et de ce fait, ils ont su mobiliser leurs camarades.
Quelles sont les grandes lignes de la saison 2025-2026 ?
Un axe fort est la question de la démocratie. Le théâtre est depuis l'Antiquité un espace de parole publique, où il est question de politique au sein de la cité. Alors que les débats actuels sont souvent binaires et caricaturaux, nous voulons y remettre un peu de complexité. Démocratie, un spectacle dont vous pourriez être les héros, de Barbara Stiegler et Christophe Pébarthe, se termine par un débat avec la salle, en mode agora populaire. En mars, Bérangère Jannelle présentera Brioches et révolution, une pièce sur la naissance de la démocratie parlementaire. Cette saison déjà, elle avait donné la parole à des collégiens qui avaient pu construire un discours et le prononcer au Parlement de Navarre à Pau.
Croire en l'art comme vecteur d'émancipation, de connaissance, d'élévation
Le théâtre, ce n’est donc pas qu’un jeu…
On peut aussi passer par l’imaginaire. France-fantôme, de Tiphaine Raffier, nous pose des questions métaphysiques en nous projetant dans un futur où certaines technologies inquiètent. Par ailleurs, nous sommes sur un territoire riche de langues et de cultures. Dans Les Cosmophonies, on valorise les langues vernaculaires et les accents, avec Yannick Jaulin, Benjamin Tholozan, et un hommage à la poétesse Marcelle Delpastre. L’artiste argentin Tiziano Cruz, d’origine Quechua, nous racontera le devenir de son peuple, mis à l'écart de la société par la langue et la culture espagnoles. On propose aussi des artistes plus connus du grand public: Christophe Honoré, Salif Keïta, Suzanne Vega, Gabi Hartmann, la chanteuse de jazz, et dans un autre registre, l’accordéoniste Richard Galliano avec l'orchestre de Pau.
C’est quoi, la 5e scène ?
C’est la circulation des publics et des artistes entre nos différents lieux. Mais c’est aussi un programme d’action culturelle très fort : rencontres avec les artistes, conférences, ateliers, éducation artistique en milieu scolaire, interventions dans les prisons, à l’hôpital… Et des projets participatifs. Par exemple, Passion disque-3300 tours de Renaud Cojo invite des volontaires à présenter sur scène une chanson qui les a marqués.

Le directeur d’une Scène Nationale a-t-il une vraie liberté ?
La loi garantit une liberté totale de création et de programmation. Mais cette liberté s’accompagne d’une responsabilité. On œuvre dans le théâtre public, avec un engagement militant : croire en l’art comme vecteur d’émancipation, de connaissance, d’élévation. Faire découvrir des artistes, sortir des sentiers battus, et contribuer à former les publics, c’est un héritage de l’éducation populaire.
Propos recueillis par Elsa Chapon.